Biographie

Portrait de la mère de Paul Jouve.
Par Auguste Jouve en 1878.
Paul Jouve et son père Auguste.
Dans l'atelier d'Auguste Jouve.

Paul Jouve est né le 16 mars 1878, à Bourron-Marlotte en Seine et Marne. Son père, Auguste Jouve, d'origine lyonnaise, né à Lyon le 11 juillet 1846, avait fait l'école des Beaux-Arts à Lyon, était peintre et ami de Theo et Vincent Van Gogh. Le Musée Van Gogh d'Amsterdam conserve d'ailleurs trois de ses peintures. Auguste Jouve était portraitiste, paysagiste, céramiste, et passionné de photographie, il communiquera d'ailleurs cette passion à son fils, qui devenu adulte, après avoir utilisé la chambre "Bellini" de son père, ne se séparera jamais de son "Leica" lors de ses nombreux voyages. Auguste Jouve avait obtenu une médaille d'or à l'exposition universelle de Paris en 1899. Le peintre animalier Olivier de Penne qui habitait le Verger à Bourron-Marlotte avait été le témoin de mariage d'Auguste Jouve. Cette proximité influencera sans doute le goût du jeune Paul Jouve pour la représentation des animaux.
Paul Jouve avait deux ans quand son père s'installe boulevard Saint Jacques à Paris.

Le chat de Paul Jouve.
Dessin au crayon, vers 1894.
Abattoirs de Vaugirard.
Crayon et encre de chine, vers 1898.

Très tôt Auguste Jouve remarque le goût de son fils pour le dessin, l'enfant s'exerçant à dessiner son chat. Son père l'encourage dans cette voie, lui fait découvrir les musées et le Jardin des plantes où il se prend de passion pour les grands fauves qu’il s’exerce alors à dessiner.
Son père l’inscrit à l’Ecole des Arts Décoratifs, il n’y reste qu’un an peu motivé par les exercices académiques. Il suit des cours à l’école des Beaux Arts de la rue Bonaparte en "élève libre", mais il préfère encore dessiner d'après nature.

Il fréquente alors assidûment le jardin des plantes, le marché aux chevaux et les abattoirs tout proches de l'atelier de son père, sources inépuisables de modèles. Pour parfaire ses connaissances anatomiques il fréquente le muséum d’histoire naturel, et l'école vétérinaire de Maisons Alfort. Jouve s’intéressera très tôt aux différentes techniques de reproduction, il s’initie à la lithographie dans l’atelier d'un ami de son père le lithographe Henry Patrice Dillon. Il gardera sa vie durant une admiration sans bornes pour les graveurs flamands, dont il ira voir et revoir les œuvres dans les musées, a chacun de ses voyages en Hollande, et en Allemagne.

Le soldat Paul Jouve.
Cathédrale de Chartres, 1898.
Le grand coq ailes déployées.
Plâtre, pour l'exposition de 1900.
Atelier de Guillot.

Paul Jouve n'a que seize ans, lorsqu'il expose pour la première fois au Salon de la Société des Artistes français, son envoi fut remarqué. Les lions de Ménélik, qu’il avait dessinés au Jardin des Plantes, de facture académique, étaient d'une grande qualité. Cette même année il réalise et vend ses premières lithographies. Il participera ensuite chaque année à cette exposition des Beaux Arts.
En septembre 1898 Il part effectuer son service militaire à Chartres, au 130e régiment d'infanterie, il y rencontre Georges Leroux , ce sera le début d’une très longue amitié.
Pour l'exposition universelle de 1900 , l'architecte Binet, lui commande une frise de fauves de plus de 100m représentant, tigres, ours, lions, taureaux, et mouflons. Cette frise fut exécutée en grès flammé émaillé brun verdâtre par Alexandre Bigot. Binet lui commande également quatre lions pour orner la porte principale des Champs Elysées, entre les deux palais, et une statue monumentale représentant un coq ailes déployées qui se trouvait au fait de l'arche de la porte principale de l'exposition. L'exposition Universelle de 1900 marqua le début de sa notoriété. Bigot éditera et commercialisera les bas reliefs constituant cette frise, en taille réelle puis en réduction, ceci jusqu'en 1914.

Couverture de l'Assiette au beurre
N°34 du 23 novembre 1901
Galerie Bing
L'Art Nouveau
L'entrée rue de Provence

En 1901, sa notoriété naissante lui permet de publier des dessins dans l'Assiette au beurre, en utilisant des animaux dans ses caricatures. Il illustre en totalité le numéro du 23 novembre titré “Vengeances sociales “ ou il dénonce la peine de mort, le militarisme, les déportations, la torture en Russie, les massacres en Chine, la justice Française, et la bourgeoisie réactionnaire.
Il est remarqué par Samuel Bing, collectionneur et marchand spécialisé dans les Antiquités orientales, qui fut à l'origine du Japonisme à la fin du 19è siècle. À partir de 1902, Samuel Bing et son fils Marcel propriétaire et fondateur de la galerie "l’Art Nouveau" situé au 22 rue de Provence, le soutienne et lui permette d'exposer des dessins, peintures, estampes, objets décoratifs en porcelaine de Limoges, travaux sur cuir et petits bronzes. Les œuvres de Jouve rencontrent un large succès. Le soutien financier de la Galerie Bing, lui permettra de visiter régulièrement les plus beaux zoos d'Europe.
En 1904 il séjourne à Hambourg, dont le zoo le fascine, puis ce sera le zoo d'Anvers, et sa rencontre avec Rembrandt Bugatti, les deux artistes se liront d’une réelle amitié, qui durera jusqu’à la fin tragique de Bugatti.

Jouve assis, dessinant.
Villa Abd-el-Tif, à Alger, 1908.
Jouve assis, dessinant un cavalier arabe.
Villa Abd-el-Tif, à Alger, 1907.

L'année 1905 marque le début de la notoriété et de sa participation régulière à tous les grands salons de l'époque. En mars 1905, Marcel Bing organise la première grande exposition personnelle de Jouve, dans sa nouvelle Galerie rue Saint-Georges. L'exposition rencontre un très large succès.
En juillet La Société du Livre contemporain lui commande l'illustration du livre de la Jungle de Rudyard Kipling. Il expose cette même année, au Salon de la Société Nationale des Beaux Arts, dans la section sculpture.

En 1907, Jouve, lauréat de la bourse du gouvernement général de l’Algérie, sera, avec Léon Cauvy le premier pensionnaire de la Villa Abd-el-Tif à Alger . Il rencontre sa femme Annette Noiré, fille du peintre orientaliste Maxime Noiré, qui lui fera découvrir le sud Algérois et la région de Bou Saada, ou il rencontrera Etienne Dinet. Il ramènera de ce séjour quantités de dessins et peintures.
Rentré à Paris les expositions se succédèrent. En 1911 Jouve reprend l'ancien atelier du peintre Gérome, rue Notre Dame des Champs, il y restera jusqu'à sa mort. Jusqu'à sa mobilisation en août 1914, les expositions personnelles et collectives se succèdent, avec un succès grandissant.

Braséro en 1ere ligne.
Ècurie, le 29 décembre 1914.
Eglise de Mareuil trouée d'obus.
Crayon, 24 décembre 1914.

Mobilisé Jouve, partit vers le front du nord de la France, il connait les tranchées et la boue. Jouve dessine dès qu'il a un moment de répit. Ses dessins, situés et datés permettent de suivre son périple.
Le colonel commandant la brigade remarque ses croquis, et en parle au général du régiment. Le général Quinquandon était amateur d'art, il appela Jouve à l'état-major pour exécuter les plans des tranchées, le nomma sergent vaguemestre et le prit sous sa protection. Le 22 avril 1915 il survit à la première bataille des gaz asphyxiants, ce fut un des moments les plus traumatisants de sa vie qu’il partage avec Gaston Suisse , tous les deux resteront profondément marqués par cette horreur.

En octobre 1915 Jouve rejoignit son régiment à Salonique, pour partir avec l'armée d'Orient. Grâce à l'appui du général Quinquandon, il est attaché directement au quartier général des armées d'Orient commandé par le général Sarrail, et préposé au service photographique des armées. Cette affectation lui permit de dessiner et de peindre sans avoir à combattre.

Paul Jouve, debout à droite et Gaston Suisse à gauche.
Armée d’Orient, Salonique.
Vieux remparts, Salonique. 1917.
Crayon et encre sur papier.

À l'état-major français, il rencontre le prince Alexandre de Serbie, qui apprécie ses dessins. Le prince Alexandre, futur roi de Serbie deviendra son protecteur et ami, et l'un de ses plus fidèles clients, l'introduisant ainsi, auprès du gotha européen. Le capitaine Abrami qui fut le chef de cabinet de Clemenceau lui présentera "le tigre", qui deviendra plus tard, lui aussi son client. Il rencontre entre autre lieutenant de vaisseau anglais Comte de Ramsay, qui deviendra l'amiral commandant la flotte du débarquement du 6 juin 1944, le médecin principal Rivet qui deviendra député, conseillé général, professeur au Muséum et directeur du Musée de l'homme.
Paul Jouve séjournera deux mois dans la presqu'île d'Athos, visitant un à un les monastères, s'émerveillant des trésors byzantins accumulés par les moines durant des siècles. Il rapportera de son séjour au mont Athos des dizaines de peintures et dessins, d'une force et d'une beauté saisissante.
Nommé responsable des artistes d'Orient, il organisa à Athènes une exposition qui a un très fort retentissement. Le vif succès de l'exposition d'Athènes marquera un tournant dans sa carrière: il écrit " à partir de maintenant table rase du passé, progresser sans arrêt, produire, ne plus subir les influences des choses vues dans les musées ou ailleurs".

Jouve assis.
Terrasses du Bayon d'Angkor Thom, novembre 1923
Jouve debout.
Angkor Vat, novembre 1923.

De retour en France, démobilisé, Jouve est maintenant un artiste reconnu. Le Livre de la Jungle dont la parution avait été retardée par la guerre, paraît enfin et obtient un énorme succès. Les commandes prestigieuses affluèrent. La Reine de Roumanie et le gotha européen devinrent des clients fidèles. Il est nommé chevalier de la légion d’honneur en 1920.
Son mariage n’ayant pas résisté à la séparation due à la guerre, sa femme était repartie vivre à Alger avec son fils Romain, Jouve divorçe en 1921, et épouse au printemps Marguerite Jeanne Macqueron. À la fin de l'année, en décembre, a lieu la première exposition du groupe des 4.

Lauréat de la bourse de voyage du gouvernement général, de l’Indochine, il prépare un grand voyage en Extrême-Orient. En 1922, à la fin de l'été, peintre en mission représentant la France, il embarque à Marseille, avec sa nouvelle épouse, pour un long périple de onze mois qui le conduira successivement en Indochine, en Chine, à Ceylan, puis aux Indes.

Jouve devant un éléphant caparaçonné.
Citadelle de Hué, février 1923.
Jouve dessinant.
Zoo de Saigon, mars 1923.

Il restera à Angkor près de trois mois, fasciné par la beauté et la grandeur du site. Il ramènera de ce voyage des centaines d'études qui lui serviront entre autre à illustrer, Le Pellerin d'Angkor de Lotti. Les années qui suivirent son retour furent très marquées par ce long périple en Extrême-Orient.

Son deuxième fils, Hubert, naquit au retour d'Asie, mais il se sépara à nouveau de sa femme et divorça l'année suivante.
 
Les expositions s'enchaînent, toujours saluées par la critique, Jouve présente des compositions ramenées d'Asie, il est alors à l'apogée de son art.

Gaston Suisse devant l'entrée de la maison du Tholonet.
Bas relief à la panthère, au dessus de l'entrée.
Marteau de porte.
Mobilier et Décoration, 1926.
Reproduit page 136.

Il se fait construire, à grands frais, au Tholonet, près d'Aix en Provence, une maison moderne, au style typiquement Art Déco avec une vue magnifique sur la montagne sainte Sainte-Victoire. Il réalisera un splendide bas relief représentant une panthère noire assise, pour orner le fronton de l'entrée principale. Il y séjournera régulièrement jusqu'aux années cinquante.

En 1925, il obtient la médaille d'or de l'Exposition Internationale des Arts Décoratifs où il expose dans le pavillon des arts appliqués un panneau décoratif, de plus il est présent dans divers autres pavillons, chez Fontaine ou il expose un marteau de porte, et dans de nombreux stands de décorateurs, qui présentent ses estampes.
En 1926, Jouve est nommé officier de la légion d'honneur.
Au fait de sa gloire, Jouve illustre Les fables de la fontaine, La Chasse de Kaa, Les poèmes barbares, Le pèlerin d'Angkor, Les Paradis Terrestres.

Carte touristique et Cynégétique de L'AOF.
Huile sur toile par Paul Jouve.
Commande de l'État.
Jouve au Tholonet.

Au début de l'année 1931, il part pour un voyage de plusieurs mois en Afrique, pour enfin connaître le pays des Touaregs. Comme le dit Marion Vidal Bué dans son livre " L'Algérie du sud et ses peintres ": "Paul Jouve réalisa son rêve, de connaître le pays Targui. L'enthousiasme de Gaston Suisse, qui était, lui, allé jusque dans le Tassili pendant son séjour Algérien en 1925 et avait rapporté dessins, souvenirs et objets, avait fortement contribué à entretenir ce désir qui alimentait leurs conversations. Toutefois au lieu de choisir le chemin classique à travers l'Algérie, Jouve trouva plus confortable et tout aussi enrichissant pour son art d'y arriver par le Sénégal: il partit donc de Dakar et remonta vers le Hoggar à travers l'Afrique Occidentale Française."

Zoo du Caire, mars 1934.
Fatima et Baby deux lions d'Abyssinie de 4 ans.
Deux grandes toiles de Jouve.
Paquebot Normandie.
Le salon des correspondances, des premières classes.

Il rapportera de ce voyage, de superbes évocations de touareg et Il illustrera Le Livre de la Brousse de René Maran, en utilisant les dessins faits dans les pays d'Afrique traversés.
À son retour d'Afrique, il participe à l'Exposition Coloniale Internationale de Paris, avec deux grandes peintures représentant des fauves, et la composition "la Jungle et la faune", mettant en scène le palais d'Angkor. À cette occasion, Il obtiendra une médaille d'or, et le livre d'or de l'exposition reproduira en couverture une de ses compositions, un éléphant et son cornac.

Au début de l'année 1934 il est reçu avec tous les honneurs en Égypte. Hôte de Mohamed Helmi Pacha, guidé par Charles Terrasse, qui lui consacrera un livre biographique en 1948, Il travaille au zoo du Caire, qui possède une impressionnante collection d’animaux avec une collection unique de gazelles et d'antilopes, provenant du soudan, et aussi la faune d'autres pays que l'Afrique, tigre à crinière de java, panthères noires et ours blancs. Il est autorisé par le ministre à travailler au zoo, avec toutes les facilitées possibles. Il visite Louxor, Assouan, Karnak, la vallée des rois. Il a préparé ce voyage qui l’intéresse en se documentant préalablement sur le sujet. Jouve clôture son séjour par une importante exposition personnelle au Caire, couronnée de succès comme à l'habitude.

L'année 1935 voie le lancement du Normandie, Jouve réalisa deux grandes toiles pour le salon de correspondance des premières classes: "Tigres royaux et Éléphants sacrés de Hué".

Atelier de la rue Lebouis (1936).
Paul Jouve assis au premier plan, Gaston Suisse debout au centre.
Atelier de la rue Lebouis (1936).
Sur l'escabeau, Paul Jouve travaillant à la tête de taureau. Gaston Suisse est debout devant la maquette.

En 1936 il reçoit la commande de vastes panneaux décoratifs, faisant 7 mètres de larges, pour la chambre des députés du Luxembourg, qui seront d’abord exposés au pavillon du Luxembourg, lors de l'exposition des Arts et techniques de 1937, à Paris, ainsi que la commande par le ministère du commerce et de l’industrie, pour cette même exposition, de la tête de taureau monumentale qui est toujours devant les bassins du Trocadéro. Compte tenu des dimensions de cette commande, Jouve louera avec son ami Gaston Suisse , qui avait également en commande pour cette même exposition, des panneaux en laque représentant  les Arts et les réalisations Techniques de l’époque, l’ensemble représentait 225m de laque destinées à la salle de réception du palais de Tokyo. La taille de ces pièces était si imposante, et leurs ateliers respectifs étant trop petits, ils décident de louer un vaste atelier rue Lebouis, pour travailler sur ces commandes. Ils y resteront 3 ans.

Cette tête de taureau monumentale en bronze doré, et le daim bondissant qui lui est accolé , lui vaudra une nouvelle médaille d'or.
Pendant la guerre de 39-45, il vécut entre sa propriété du Tholonet, en Provence, et son atelier de la rue Notre Dame des Champs, à Paris. Il travailla et exposa à Paris et à Marseille.

Paul Jouve en habit d'académicien.
Paul Jouve devant l'enclos des autruches.
Zoo de Vincennes

Le 7 février 1945, il fut nommé membre de l'Académie des Beaux Arts.
Couvert d'honneurs, il continuera d'exposer régulièrement dans tous les grands salons. Il fréquente toujours assidument la fauverie du jardin des plantes, et les enclos du zoo de Vincennes qui sont pour lui une source inépuisable d'inspiration.

Il illustre magistralement l'ouvrage de Balzac, "une passion dans le désert" qui sortira en 1948, puis Le Roman de Renard, d'après l'adaptation de Maurice Genevoix, et le livre "Chasse" du duc de Brissac. Malgré son âge, il voyage encore énormément, expose au Maroc, se rend aux Etats-Unis, puis aux Bermudes ou il passe l'été 1956, fasciné par les poissons des massifs coralliens du grand aquarium. Il ramènera de ce dernier voyage, quantité de dessins et d'études, qui de retour, dans son atelier parisien, lui permettront de composer le très beau paravent "Poissons", aujourd'hui dans les collections du Musée des Beaux Arts de Reims.

Paul Jouve, malgré quelques ennuis de santé, continuera à peindre et à exposer ses œuvres jusqu'à sa mort. Il décède dans son atelier, le 13 mai 1973, à l'âge de 95 ans.

Académie des Beaux-Arts